Le lecteur trouve ici la pièce Faire bleu,du dramaturge francais Jean-Paul Wenzel,traduite en chinois par Ning Chun.Il s'apprêteàentrer dans l'intimitéde deux retraités francais,Andréet Lucie.Il va lesécouter,les suivre du regard,découvrir leur ennui,leur patience,leur angoisse.Il se demandera ce qui unit encore ces deux personnes,sinon l'habitude d'être ensemble depuis toujours.Iléprouvera un peu de pitié,mais cette pitiédeviendra de la tendresse.Andréet Lucie vivent et survivent dans un monde dont ils ne font plus partie,dont ils n'ont peut-être jamais fait partie.Leur dernier recours est le rêve.Or,pour le rêve,nous avons un devoir de tendresse.
Jean-Paul Wenzel,un des plus grands auteurs du théatre francais contemporain,joue sur les deux registres:le quotidien le plus pragmatique,dans lequel les fersàrepasser tombent en panne et les yaourts se périment;la métaphysique,d'inspiration nietzschéenne,avec les thématiques du Surhomme et de l'Eternel retour.
Chacun se reconnait dans ce texte et les questions qu'il soulève sont celles-làmême qui parcourent notreépoque:quelle est la place de l'humain dans notre sociétéde consommation?Comment《faire bleu》?
Cette expressionétait utilisée par les ouvriers en usine,quand ils sortaient du travail.《Faire bleu》,c'est retrouver la libertéd'être soi.Andréet Lucie,les deux personnages,vont s'y employer pendant toute la durée de cette pièce qui se lit toutàla fois comme un portrait d'époque et un conte philosophique.La poésie de leurs répliques est naive,pleine d'humour.Ainsi,André,qui passe son temps devant la télévision,àregarder des films de science'fiction et des documentaires:《Je me suis endormi devant la naissance du monde…heureusement,j'ai eu le réflexe d'enregistrer.》Le jeu d'équilibre entre les deux personnages est lui-même très drale.Ainsi,face aux délires sauvages d'André,Lucie tente de rester les pieds sur terre:《André:-L'univers est infini.Lucie:-Demain,je fais du poisson.》Jean-Paul Wenzel réenchante un monde désenchanté.
Sommes-nous pour autant dans l'absurde?Bien que la parentéstylistique avec les'uvres de Jean-Paul Sartre,Samuel Becket,Eugène Ionesco soitévidente,Jean-Paul Wenzel n'est pas un dramaturge de l'absurde.Ses personnageséchappent peut-être aux règles sociales imposées,les deux retraités deFaire bleu vont peut-être s'affranchir d'un monde devenu irrespirable,mais Wenzel garde la tête froide.Les situations qu'il propose ne sont pas irréelles.Avec lui,nous sommes dans la photographie sociale,et c'est ce qui lui donne tant de force.Cetteécriture théatrale fait penseràla peinture hollandaise du XVIIe siècle,qui a inspiréTzvetan Todorov,essayiste francais,auteur en 1993 de L'Eloge du quotidien.Les personnages sont réels,leurs actions sont réelles,leurs paroles sont réelles,leurs rêves eux-mêmes sont réels.
En fin de compte,tout se résume dans une des répliques les plusémouvantes de Faire bleu:
《Lucie:-On peut rêver.André:-Je n'ai rien contre.》
N'avoir rien contre le rêve,voilàce qui nous fait aimer le théatre,et voilàce qui donne aussiàla traduction de Ning Chun,soutenue par l'Ambassade de France en Chine,toute sa beauté:donner accès au rêve,d'une langueàune autre.
Attachéculturel
Ambassade de France en Chine
Pékin,avril